Anciennement nommé « le passage », La Place est un lieu d’hébergement et de vie pour personnes SDF à Grenoble. La Place représente par bien des aspects ce qui se fait de mieux en matière d’accueil pour personnes SDF, aux problématiques conséquentes et diverses. Dix-neuf hommes et femmes sont installés dans les treize bungalows (dont certain à l’aspect futuriste ont été récupérés à un salon de l’habitat écologique) qui jalonnent le petit terrain prêté par la mairie. Anciennement dépendante du plan hivernal, La Place est aujourd’hui ouverte à l’année, (dans le cadre du PARSA, comme hébergement de stabilisation), et, depuis le déménagement sur le nouveau terrain il y a deux mois, le centre reste ouverte toute la journée. Les personnes hébergées peuvent investir au mieux les lieux.
Les conditions d’accueil et les règles de fonctionnement sont plus souples que celles des structures plus classiques (ce qui ne signifie en aucune manière qu’elles n’existent pas). L’alcool est toléré (excepté dans les parties communes), les animaux également (ils sont parfois plus nombreux que les hébergés). Pour David Laumet, le directeur de la structure, l’objectif d’un travail éducatif et d’un accompagnement social tel qu’il est mené ici nécessite de rompre avec la logique de l’urgence et de l’humanitaire, afin d’inscrire l’intervention dans le long terme. Pas de limite à la durée de l’hébergement, pas de turn-over, et contrairement aux CHRS classiques, pas d’injonction au projet non plus.
C’est une autre conception de la personne que l’on met en pratique à La Place. Une autre manière de pratiquer l’intervention sociale dont le mot d’ordre pourrait être celui de la reconnaissance, de l’acceptation et de l’adaptation aux caractéristiques et aux problématiques des personnes accueillies. L’hébergé est accompagné dans la logique de ses réalités et de ses besoins immédiats. Ainsi, le principe de non-abandon est l’un des dénominateurs commun, il s’agit de s’adapter aux éventuelles rechutes, aux crises, en montrant que quoiqu’il arrive, la relation pourra être reprise là où la personne l’avait laissée. Par exemple, si un hébergé décide de partir tenter sa chance en Bretagne, on lui laisse le temps de s’essayer à la vie là bas et on ne le remplace pas au pied levé. Si après 15 jours il rappelle en expliquant qu’il ne se sent finalement pas bien et qu’il aimerait revenir, c’est tout à fait possible. Pour les membres de l’équipes d’éducateurs, le fait que La Place devienne un repère est même en soi une petite victoire.
Au sein de l’équipe, la démarche est résolument réflexive. Le questionnement permanent sur la pratique, loin d’être un frein, devient la condition pour avancer dans le tâtonnement de toute expérimentation. Les solutions et les règles, loin d’être données d’avance, s’inventent au jour le jour. Tout ce qui pose question ou problème aux éducateurs ou aux hébergés doit pouvoir faire l’objet d’une discussion. L’équipe a par exemple ouvert la discussion quant aux règles à adopter en terme d’hygiène, de réduction des risques, concernant la fermeture ou non du portail ou encore lorsque les chiens se sont trouvés être plus nombreux que leurs maîtres, engendrant bagarre et blessures… On attend beaucoup des personnes hébergées : non qu’elles se conforment à des règles contraignantes et immuables, mais qu’elles deviennent capables d’exprimer leur avis sur la vie au sein de la structure, de s’impliquer dans des petits projets autour de la structure (comme un partenariat avec l’école d’architecture pour la création d’un atelier, l’organisation de concerts à l’occasion de la crémaillère du centre, une activité potager…). De ce mode de fonctionnement se dégage l’impression d’une grande proximité entre l’équipe éducative et les hébergés, ainsi qu’un fort attachement de chacun au lieu.
Alors, même si tout n’est pas rose et que les problèmes d’isolation, d’humidité, les conflits, sont la part quotidienne de tous, on peut dire sans se tromper que c’est de ce genre de structure dont ont besoin les plus affaiblies et marginalisées des personnes SDF. Depuis mars et la pérennisation de la structure, 16 des 19 personnes hébergées sont encore présentes dans les lieux. Ceux qui auparavant étaient plongés dans l’errance et avaient l’habitude de faire sauter les cadres des autres structures de la région ont réussi à « se poser » un petit peu. Pour la Place, les subventions accordées pour 2009 vont permettre de survivre, mais 2010 est encore plongé dans l’incertitude… Pourtant beaucoup reste à faire : les locaux communs trop exigus ne permettent pas de pendre les repas tous ensemble, les hébergés ne peuvent disposer de clés pour leur bungalow faute de moyens. Pour que l’aventure puisse continuer encore de longues années, il ne reste plus qu’à espérer que La Place bénéficie de financements à la mesure de ses ambitions. Souhaitons aussi qu’elle serve d’exemple à la réalisation d’initiatives de ce type et que d’autres personnes, à l’image de David Laumet et son équipe, puissent porter et faire vivre des lieux de vie adaptés comme La Place.